IDENTITES-FRANCE QUERE

Rencontre fortuite hier ( Les Chemins de la Foi-Présence Protestante) que je souhaite partagée, encore une femme "d'exception". France QUERE a écrit un éditorial pour la revue Réforme en 1993. Cet article colle malheureusement parfaitement à la triste réalité de l'état français!

" Nos identités », tel était le sujet des 34e Rencontres internationales qui viennent de se dérouler à Genève au début du mois d’octobre. Etrange destin que celui de ce mot, identité ! Longtemps il n’a désigné que la qualité de ce qui est le même. Tard dans l’Histoire, au siècle dernier, et pour des raisons de contrôle social, et par conséquent d’identification des personnes (vos papiers, s’il vous plaît !), il s’est mis à marquer la particularité qui distingue chacun de tous. Ainsi a-t-il associé à son sens originel de similitude le sens contraire de différence. La police, en somme, lui ouvrait un bel avenir philosophique. L’identité d’un être désignait désormais sa conversation secrète avec ses espoirs, ses repentirs, ses ferveurs, l’intime exigence qui l’habite. L’identité d’un peuple exprimait un long façonnement culturel par une langue, des coutumes, une histoire, des arts, des symboles.

Alors, pourquoi une identité se décline-t-elle, se revendique-t-elle, se défend-elle ? Ces verbes âpres lui conviennent-ils ? Ce n’est pas la polémique que l’on attendrait mais une profession d’universalité qu’implique la multiplicité des cultures qui appartiennent à un patrimoine humain et dont chacune apporte sa pierre à l’édifice commun. Il serait par conséquent inconcevable qu’à toutes les identités, régionales ou nationales, ne soit pas reconnue une égale légitimité : elles la doivent à leur propriété d’être à la fois singulières et communautaires.

Mais l’actualité en a décidé autrement. Ajoutez « ethnique » à ce mot ; il se hérisse et répudie l’universalité qui pourtant honore et protège sa particularité. Ethnique ou individuelle, une identité doit tout aux autres identités, soit parce qu’elle en hérite, soit parce qu’elle se définit par contraste, devant elles. Remplacer les échanges par des frontières, la reconnaissance – au double sens du mot – par l’exclusion, combattre la diversité pour affirmer un droit extravagant à être la seule figure autorisée, semer la guerre sur les emblèmes de la paix, et ruiner la culture pour restaurer le règne des instincts sauvages, voilà l’aberration qui, en maint point du globe, assombrit les espérances qu’avaient levées l’effondrement des totalitarismes. Décidément, ce mot, l’identité, doté d’un sens si prometteur, a une carrière tragique
France Quéré
Réforme
octobre 1993.